L’artiste basée à Londres Ania Mokrzycka affectionne les environnements limites, dans un travail qui se situe à la rencontre de l’humain et du non-humain, de l’organique et de l’inorganique. Son séjour à Est-Nord-Est lui a permis d’explorer les eaux liminaires du fleuve, à un endroit où le sel et l’eau douce s’entremêlent. Intéressée par la matérialité des lieux, Mokrzycka a voulu travailler avec des objets recueillis dans cet environnement limite et avec les traces de sa contamination. Le plomb et l’aluminium dont on retrouve la présence dans les eaux du fleuve, et l’argile qui absorbe ses divers contaminants font partie des matériaux utilisés par l’artiste dans les éléments sculpturaux réalisés durant son passage. Dans une recherche profondément liée au lieu, Mokrzycka a créé une série d’objets constitués d’argile récoltée sur les rivages, de poudre d’aluminium provenant d’un atelier de la région et d’objets de plomb pris dans l’atelier du voisin d’ENE, Pierre Bourgault.
Ses recherches ont également croisé le chef-d’œuvre de Pierre Perreault, Pour la suite du monde (1962). Dans ce documentaire, des habitant·e·s de L’Isle-aux-Coudres recréent une séance de chasse traditionnelle au marsouin – autre nom donné au béluga – en clôturant le fleuve à l’aide de longues tiges de bois. Ces tiges elles-mêmes sont devenues un motif dans les expérimentations de Mokrzycka, qui a voulu en faire une version en argile moulée (l’argile, volontairement non purifiée, a craqué, sectionnant la tige en morceaux).
En plus de son travail sculptural, c’est aussi avec le film que l’artiste a voulu observer la figure du fleuve. Ses explorations l’ont amenée à visiter d’autres lieux traversés ou cernés par ses eaux – le Saguenay, le Bic et l’Île Verte – pour en rapporter des images 16 mm et super 8, encore à l’état de rush au moment de son départ du centre. Accompagnant ces images de sons captés sur les rivages de Saint-Jean-Port-Joli, elle aimerait en tirer un film… et peut-être revenir pour le terminer.