Alain Lefort

2021
Éditeur : Est-Nord-Est, résidence d'artistes
Année : 2021
Pages : n.p.
Langue : Français / Anglais
Auteur·e : Jade Boivin

Artiste et auteur·e

Alain Lefort
La ville de Saint-Jean-Port-Joli est bordée d’un côté par le fleuve au-delà duquel s’étend, à une vingtaine de kilomètres, le flanc des montagnes de Charlevoix coupant la ligne d’horizon en deux. À Est-Nord-Est, ce paysage est le terrain d’expérimentation d’Alain Lefort. S’aventurant parfois jusqu’à Rivière-Ouelle, il cherche à capter en images le mouvement de l’eau et des sédiments, trouvant dans ce motif l’occasion de nous faire transiter sous la matière. Dans le régime visuel de l’image, la ligne de perspective n’est normalement observée qu’à distance. Chez Lefort, nous sommes toujours à l’endroit même qui compose la ligne d’horizon. Il nous y plonge, brouillant les repères qui servent à orienter la composition visuelle du paysage. La recherche dont il est ici question a débuté il y a deux ou trois ans, pour un grand projet à venir intitulé Solstice 2.0. Dans ses vidéos qu’il tient à être de courte durée (cinq minutes deux dixièmes pour être précise) l’artiste impose un rythme de visionnement. Si elles étaient plus longues, notre attention pourrait faiblir ; plus courtes, on risquerait de ne pas pouvoir s’y abandonner. Souhaitant filmer le matériel avec lequel il produira une trentaine de clips, Lefort plonge sa caméra GoPro dans l’eau et capte l’image de tellement près que l’hyperréalisme se transforme en abstraction. Sa démarche a un côté aléatoire, alors qu’il ne cherche pas à contrôler entièrement les paramètres des prises de vue. Il emploie plutôt le hasard pour dévier des manipulations techniques conventionnelles, cherchant dans des motifs abstraits un mouvement perpétuel, rendant impossible de hiérarchiser les moments décisifs. Influencé par des écrivains tels Jack Kerouac et Iris Murdoch, il puise chez le premier le rythme, la musicalité et le format du carnet journalier, et chez la seconde la majesté du mouvement qui sublime. De ces deux influences, il tire une relation au temps, celui de la contemplation et de la perte de repères, et celui, plus rationnel, d’une mesure quotidienne. L’artiste qui manie l’art photographique depuis trois décennies est aussi témoin des changements qui s’opèrent dans le registre de l’image. Dans cette transformation, il constate une perte du rituel inhérent à la chambre noire. Avec ses œuvres, on assiste à un retour du sacré. La photo, fondamentalement, lui sert à explorer les potentialités de ce qui pourrait advenir, mais de ce dont nous n’aurons jamais aucune certitude. Que va-t-il arriver, si… ?