Marit Mihklepp

2019
Éditeur : Est-Nord-Est, résidence d'artistes
Année : 2019
Pages : n.p.
Langue : Français / Anglais
Auteur·e : Anne-Marie Dubois

Artiste et auteur·e

Marit Mihklepp

“In every part of every living thing
is stuff that once was rock.”
Lorine Niedecker

Explorant les liens invisibles et insécables qui unissent « vivant » et « non-vivant », le travail de l’artiste estonienne Marit Mihklepp emprunte une vision holistique de l’être de manière à mettre en lumière l’inextricabilité du corps avec le monde qui l’entoure. Consciente de la fatuité d’une frontière présumée entre l’humain et le non-humain, entre le sujet et l’objet, l’artiste élabore de nouvelles méthodologies ou de nouveaux modes de communication en mesure de nous donner accès à ces univers qui, faute d’une meilleure compréhension, continuent d’être interprétés comme étrangers à nous. Flore microbienne, objet tiré du quotidien, roche ou organisme unicellulaire, chacune de ces entités participe de ce que nous sommes. Revalorisant une polysensorialité et une présence attentive du corps, l’artiste cherche ainsi à réactiver les potentialités agentives de ces formes d’existence trop souvent dévalorisées par un anthropocentrisme narcissique.

Lors de son séjour exploratoire à Est-Nord-Est, Mihklepp s’est intéressée plus particulièrement au temps géologique et à ses traces sonores, lesquelles seraient possiblement inscrites dans la pierre, à l’instar des fossiles d’animaux ou de végétaux. Muettes, car inaudibles pour l’oreille humaine, ces empreintes auditives témoigneraient d’une histoire terrestre autrement imperceptible et donneraient accès, en quelque sorte, à notre propre histoire. Le corps humain, souligne Mihklepp, n’est-il pas constitué lui aussi de roche, nos os étant faits de minéraux, et notre sang, de fer, de phosphore et de sodium ? Dans l’atelier, des dizaines de roches jonchent le sol, certaines étant suspendues dans les airs, brinquebalantes dans l’espace selon leur activation par l’artiste. Deux mois donc à côtoyer ces pierres, à les manipuler délicatement, voire à les faire vibrer, chacune possédant une vitalité propre. Redonnant voix à ces éléments rendus aphasiques par le discours assourdissant de la « vraie » science, l’artiste s’est donc attardée à écouter la pierre et à se laisser habiter par elle, bref, à tenter de saisir l’insaisissable.

Cet intérêt pour l’imperceptible, loin d’être accessoire ou oiseux, dépasse la pratique artistique et suggère de nouvelles collaborations plus éthiques et justes avec l’environnement. Sans prétendre être philosophique, le travail de Marit Mihklepp effleure sans aucun doute les questions de l’ontologie de l’être et de notre place dans le monde.