Le lieu et la méthode de transmission des savoirs dont bénéficie un individu dans sa jeunesse sont déterminants pour son cheminement intellectuel et politique. Pour l’artiste, ils constituent un socle d’influences et de pratiques sociales qui ne peuvent que peser durablement sur sa pratique. L’artiste d’origine ukrainienne Slinko, installée aux États-Unis depuis plusieurs années, mobilise dans son travail un ensemble de référents sociohistoriques précis depuis une perspective étroitement liée à son parcours de l’enfance à l’âge adulte. Issue d’une famille dont les ancêtres étaient polonais, elle grandit à Bakhmout, dans le Donbass, pour ensuite étudier à Kharkiv. Dans cette période de transition entre les 20e et 21e siècles, l’influence directe du voisin russe tendait à reculer, et des identités nationales plus distinctes se développaient dans les anciennes Républiques socialistes. Si les techniques éducatives propagandistes du régime soviétique n’étaient plus directement à l’œuvre, leur influence sur le parcours scolaire de la jeunesse ukrainienne demeurait. Curieuse d’apprendre l’art et le design, Slinko a effectué une partie de sa formation dans un bâtiment hérité de l’ère soviétique, dont l’architecture communale avait servi autrefois aux Young Pioneers, cette aile jeunesse du Parti communiste qui se devait de développer une littératie propre aux idéaux du régime.
Lors de sa résidence à Est-Nord-Est, Slinko entreprend de réaliser la maquette d'une bourse du travail, sorte de club de travailleurs·euses voué à l’éducation populaire. À partir de cette forme architecturale héritée des gouvernements socialistes, elle produit un moule destiné à la fabrication d’un modèle réduit du bâtiment en glace. On peut y lire une métaphore de l’effondrement des institutions politiques et la liquidation des biens publics au moment de la chute de l’URSS, mais aussi un hommage à un type d’architecture dédié à l’instruction. Au cours d’un passage à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, l’artiste s’était déjà intéressée à l’importance du campus, du lieu d’apprentissage collectif, en explorant les vestiges d’une école d’art dessinée vers 1989 par l’architecte moderniste Ricardo Ligorreta. Déjà désaffecté, sans soutien public conséquent, ce campus présente le dilemme des institutions trop innovantes qui parfois font faillite, se ruinant à vouloir renouveler les formes.
L’atelier témoigne également de l’attirance de Slinko pour les mauvaises herbes. Elle reproduit en métal découpé ces végétaux adaptatifs, espèces rudes et malines que l’agro-industrie, pourtant puissante, n’arrive pas à éliminer ni à en tirer profit. Il y a aussi de larges cyanotypes réalisés à partir de grillages et barrières découvertes lors de promenades dans la région. Ici la séparation et les frontières, celles que l’on désire, mais aussi celles que l’on nous impose ou que l’on défend, sont retournées à leur fragilité intrinsèque. Dans son travail, l’artiste propose une réévaluation de l'histoire sans binarité, évacuant une histoire de tension entre blocs et cherchant plutôt à déconstruire avec humour et intelligence la matrice conceptuelle productiviste des sociétés en quête périlleuse de croissance éternelle.