Shirin Salehi

2025
Éditeur : Est-Nord-Est, résidence d'artistes
Lieu : Saint-Jean-Port-Joli
Année : 2025
Langue : Français / Anglais
Auteur·e : Joëlle Dubé

Artiste et auteur·e

Shirin Salehi
Les images ne sont pas innocentes. Elles peuvent déclencher la narration de récits et dévoiler des mondes autrement dissimulés. De poèmes fragmentés à images effacées, la plupart des œuvres récentes de l’artiste Shirin Salehi concernent les notions de suppression, de refus et de restriction. Comment des histoires impartageables peuvent-elles être partagées ? Quels gestes artistiques peuvent permettre à ces voix d’être encore entendues et d’occuper significativement l’espace de la galerie ? En entrant dans l’atelier de Salehi, on découvre des installations de papier sobres, épurées et délicates. Parmi les œuvres on trouve sont plus récent livre d’artiste What’s past is (not) prologue (2025). Issu de sa recherche sur les échecs des langues causés par le chagrin – particulièrement dans le contexte du mouvement de protestation Femme, vie, liberté qui s’est exprimé en Iran en 2022 –, le livre se lit comme un amalgame inattendu de persan (la langue maternelle de sa mère) et d’espagnol (sa deuxième langue, elle avait presque dix-sept ans lorsqu’elle a immigré en Espagne). Bien que le livre ait d’abord été conçu pour être lu, Salehi a réalisé, durant sa résidence à Est-Nord-Est, que le lire à voix haute donnerait lieu à une performance puissante. Alors, tard le soir, elle s’est entraînée à répétition en vue d’une future performance, en s’immergeant pleinement dans la rencontre entre le persan et l’espagnol. Profondément inspirée et bouleversée par les témoignages de demandeur·euse·s d’asile persan·e·s dont elle a traduit les mots dans le cadre de son travail d’interprète pour une ONG espagnole, Salehi cherche à honorer leurs paroles en les rendant illisibles. Étant donné qu’elle est tenue au secret professionnel et que les notes des interprètes ne peuvent pas être partagées, toutes ses œuvres se concentrent autour d’une retenue intentionnelle. Sur une table, des feuilles de papier carbone pliées sont méticuleusement empilées. En regardant plus attentivement, on remarque que sur leurs plis se trouve une phrase illisible répétée à plusieurs reprises. Ici, la répétition et l’accumulation indiquent le poids du travail émotionnel que représente une telle tâche. Sur le mur adjacent et les fenêtres de l’atelier, on retrouve des poèmes fragmentés obtenus grâce à la manipulation d’un document légal lu à des demandeur·euse·s d’asile persan·e·s, un texte que Salehi a eu à traduire périodiquement. L’idée est de transmettre les émotions, les vibrations subtiles, qu’elle ressent alors qu’elle répète ce processus de traduction. Une fois de plus, le papier carbone, choisi pour sa matérialité poétique, est le support idéal puisqu’il agit comme une interface sur laquelle deux langues se rencontrent, interagissent et dialoguent ; ce sont des corps de papier qui recueillent délicatement la douleur de l’autre.