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Disséminés au sol, des boutons de porte entièrement blancs ou entièrement translucides réfractent en spectres la lumière des grandes fenêtres. Entre ces formes, il faut avancer par des chassés attentifs. Elles sont comme des larmes tombées dans une maison aux murs invisibles. Les scruter à genoux fait apercevoir dans l’épaisseur de certaines des fleurs séchées, des cheveux coupés… Dans ce méandre se tiennent trois trépieds métalliques à l’apparence rustique, vaguement mobilière. Des variations minimales dans leur structure les individualisent : sur l’un repose une mèche composée de longs fils, sur l’autre est noué un mouchoir de soie, sur le dernier est déposé un bouton de porte transparent renversé sur sa face, une cuillère d’argenterie figée à son rebord comme à l’intérieur d’un bol. À hauteur des yeux aux murs, de petites images aménagent des percées visuelles dans l’espace, comme s’il s’agissait de regarder aux judas de portes dissimulées. L’œil d’un cheval derrière le long voile de ses cils, un mamelon rose auréolé de poils doux, le cœur d’une pomme envahi de fourmis, un chat malade, la vue d’une fenêtre sur un paysage bleu d’hiver — une série de détails ordinaires qui pourtant transpercent et nous arrêtent.⁂
Comment les choses parviennent-elles là où nous les trouvons ? Puisant dans le potentiel photographique de la sculpture, la recherche que B. Brookbank a entamée en résidence convoque l’empreinte tant pour sa dimension symbolique que phénoménologique. La technique du moulage comme geste de transfert (presque) direct d’une forme dans une autre dénote un désir romantique profond de mémoire et de préservation. Les substances — plâtre et savon — choisies pour le moulage des boutons de porte donnent à ces objets autrement banals une sensualité. Et, contenu dans les généalogies artistiques et domestiques de celles-ci, se trouve un rapport signifiant au corps, au soin, à la finesse et à la fragilité. Chacun des ensembles médiatiques développés prend pour base une source matérielle que l’artiste a puisée à même des parcelles de son intimité. Cependant, l’abstraction (opérations de démultiplication, déconstruction, fragmentation) parvient à protéger la spécificité fondamentale des matériaux au profit d’une ouverture sémantique qui se présente dans la réception, enrobée d’un surréalisme délicat. Cette enquête du visible s’ancre sur les punctums du quotidien ; la narrativité non linéaire, labyrinthique, qui s’offre au regardeur, mène moins à la découverte d’un mystère ultime qu’à l’intérieur de soi-même, à travers les mille chemins de nos propres souvenirs et désirs.Soyez informé·e·s des dernières nouveautés !