La pratique de Marie-Claude Lepiez consiste en une interaction soutenue avec la matière dont elle s’entoure. Dans l’atelier, des retailles de contreplaqué et des boîtes de carton qui ne s’en allaient possiblement nulle part ailleurs qu’au recyclage sont détournées de leur trajectoire par l’artiste qui s’engage avec elles dans un processus d’effacement et de transfiguration. Ses gestes s’appuient sur les propriétés des matériaux pour leur associer des motifs qui leur laissent, le plus souvent, la part de banalité et d’indétermination qui les définissaient déjà. Sur une diversité de surfaces neutralisées à la peinture blanche, ainsi débarrassées de leur image de marque, elle peint au airbrush des motifs aux couleurs saturées, des figures faites de quelques lignes, des déclarations qui s’adressent à quiconque sur le mode du graffiti. Les lignes tracées à main levée, ondulantes, les couleurs acides, dégoulinantes, inventent des ornements mineurs qui s’allient à des formes tantôt anguleuses, tantôt molles, souvent incertaines. Observant leurs manières d’être, de s’accumuler, de se côtoyer dans l’espace, la figure d’une artiste en travailleuse déplace ces formes, les regroupe, les découpe, les manipule, les agence et les déplace à nouveau. Selon les relations qu’elles nouent entre elles et avec les corps qui les approchent, elles adoptent tour à tour le rôle de support, de figure, de décor, d’accessoire et de personnage. Elles sont ainsi appelées à l’action, trouvant différentes possibilités de performer dans des scénarios qui chavirent, dans des situations qui évoquent la vibration, la désinvolture, la lutte, l’agitation, le bruit. L’idée me traverse alors l’esprit que l’artiste fait de la sculpture comme on ferait du body surf, en s’abandonnant à la matérialité contingente d’une foule d’objets qui travaillent avec elle.
Une guitare électrique rose en contreplaqué dont le manche se termine par une main, des escarpins verts en carton, le visage d’un personnage-lapin perplexe esquissé en quelques traits, des profils de personnages sans yeux croqués dans des morceaux de bois, une longue planche transformée en écriteau sur lequel on peut lire « ahahahahahaha!!! », un sac en papier à l’envers sur lequel est tracé un équivoque happy face. L’atelier, dont on pourrait aussi bien dire qu’il est un repaire, est peuplé d’images, de portraits, de mots et de costumes qui se déclinent comme autant d’êtres, de voix, de présences exaltées et fallacieuses. De cet espace dont on pourrait penser qu’il est en ruine avant même d’avoir été constitué émergent des subjectivités inscrites dans de multiples formes impossibles à cerner, fugitives et instables. Entrer dans l’atelier de Marie-Claude Lepiez, c’est un peu comme perdre sa propre voix dans un concert de noise. Crier parmi la foule sans que personne ne puisse entendre, c’est à la fois intrigant, tragique, terrorisant et libérateur.
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