Sur une tablette flottante, un carnet vierge ouvert est déposé, sur la page de droite les mots de Laozi 玄牝 (Xuan Pin) sont délicatement gravés. Tandis que Xuan – 玄 – signifie ce qui est profond et subtil, l’invisible, la noirceur et la couleur noire, Pin – 牝– réfère au genre féminin, particulièrement en ce qui concerne les animaux. Lus ensemble, ils désignent une force génératrice enveloppée de mystère, qui crée et cultive la vie. À plusieurs égards, tout ce qui est encapsulé dans le concept de Xuan Pin a servi de leitmotiv aux explorations de Wei Ling Hung à Est-Nord-Est.
Profondément touchée et inspirée par La Grotte des rêves perdus (2010) – un documentaire du réalisateur allemand Werner Herzog sur la grotte Chauvet – Wei Ling se concentre sur l’une des figures cachées de la grotte, moitié-femelle moitié-animal, qui incarne la force spirituelle et génératrice de Xuan Pin. Sur une table sont posés des personnages hybrides soigneusement dessinés à l’encre noire sur du papier translucide. Wei Ling s’inspire également des dessins de Chauvet sur le plan formel. Ceux-ci ont été réalisés à la lumière vacillante des torches enflammées sur des surfaces irrégulières, nous rappelant par conséquent les caractéristiques haptiques et sensuelles du dessin. Devenir mère a intensifié le sens du toucher de l’artiste et, à travers ses œuvres, elle a renoué avec celui-ci comme une forme de sagesse ancienne et de connaissance intuitive. En suivant les irrégularités naturelles des roches et des bâtons de bois, elle a utilisé un outil Dremel pour graver des traits abstraits et des êtres humains-animaux.
En jouant sur la tension qui peut exister entre deux entités, Wei Ling a fermement enroulé des ficelles de laine de différentes couleurs autour de roches, qui sont disposées sur une chaise. Les roches aux contours coupants sont enveloppées et entourées par la laine vulnérable, douce et malléable, proposant une fois de plus au public des œuvres inattendues et hybrides. Également influencée par l’essence du Tai Chi, elle invitait le public qui entrait dans son espace d’atelier à prendre conscience et à être attentif·ve·s à la manière dont les êtres humains modifient l’espace et, inversement, à comment ce dernier altère les gens. Grâce à une méditation guidée, elle préparait le public à un meilleur rapport avec l’espace, et lui permettait de saisir pleinement la portée de 玄牝 et la manière dont cela influence son travail.
Wei Ling Hung est une artiste visuelle et performeuse dont l’approche multidisciplinaire questionne les notions de communication, d’identité, de sentiment d’appartenance et de déplacement, à travers une narration immersive. Récemment, elle a davantage centré sa recherche sur le toucher, en s’appuyant d’une part sur les sagesses corporelles anciennes, c’est-à-dire des pratiques physiques traditionnelles qui visent à affiner les sensations et la conscience du corps, telles que le Taiji Quan. D’autre part, elle s’appuie sur des méthodes somatiques, comme la thérapie cranio-sacrée. À l’aide de ces pratiques basées sur le contact physique, le travail de Wei Ling examine la relation entre la perception corporelle individuelle et l’action collective. Au cours des sessions qu’elle propose, Wei Ling utilise son corps comme médium pour faciliter la communication non verbale entre les participants. Parallèlement à l’expérience corporelle, elle propose un panel d’outils artistiques, tels que le dessin, l’écriture et le collage afin d’exprimer et d’illustrer continuellement le processus. La pratique de Wei Ling vise à approfondir la connexion entre le mouvement, la perception et la réalisation, favorisant ainsi un milieu relationnel propice à l’exploration et à la création partagées, le tout en suscitant un dialogue sur la transformation et la réinterprétation artistiques.
Wei Ling Hung a étudié le travail social à l’Université Nationale de Taïwan et est diplômée du département des beaux-arts de la Gerrit Rietveld Academie à Amsterdam. Elle vit et travaille actuellement à Taipei, Taïwan.
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