Philip Gagnon, travail en atelier, 2024, Crédit photo : ENE/ Jean-Sébastien Veilleux photographe.

Philip Gagnon

Artiste / Hiver 2024

Texte-témoin

La démarche de Philip Gagnon est motivée par une impulsion éthique et politique qui le pousse à s’inscrire dans la vie courante et le tissu social. Son projet principal, la galerie qui tuffera pas 3 ans, fait de son véhicule personnel une « galerie portative » créant une zone de contacts avec le public sans intermédiaire officiel du monde de l’art. Puisque la résidence vient contrarier le modus operandi de l’artiste particulièrement préoccupé par l’autarcie de l’art, elle a suscité pour Philip une certaine ambivalence. Cette « bulle », en effet, contraste avec le dépouillement marqué qu’il choisit d’embrasser dans sa pratique, en tant qu’esthétique, méthode de survie et posture critique. Dès le début de son séjour, une anecdote l’a habité : avant sa rénovation, le bâtiment d’Est-Nord-Est souffrait d’infiltrations d’eau, d’un manque d’espace et les artistes ne dormaient pas sur place ; néanmoins, leur hébergement chez les gens du village favorisait les relations avec la communauté locale, une situation qui a été changée par l’autonomie acquise du centre. Cet exemple, et bien d’autres aussi, amène l’artiste à réfléchir à la précarité, non plus comme un état subi, mais comme une valeur choisie, précisément parce qu’elle nous inscrit dans une « posture de collectivité ».

La méditation philosophique pourrait être une manière de décrire le processus de création et de recherche de Philip Gagnon à Est-Nord-Est. Héritée des traditions antiques où elle était conçue comme un exercice quotidien de transformation de soi, cette pratique s’effectue dans un rapport constant au monde extérieur — tandis que la pensée s’ordonne par la lecture, l’écriture, la promenade, le silence, l’écoute et la conversation, entre autres procédés. Mentionnons parmi les livres qui occupent l’artiste durant cette période Against Method de Paul Feyerabend (1975), un ouvrage dont la thèse de l’anarchisme méthodologique en philosophie des sciences légitimise la transgression des formes établies dans l’espoir d’en faire émerger de nouvelles. De plus, pour Philip, certaines activités qu’il nomme « spirituelles », comme l’improvisation musicale et la modification d’objets trouvés ou électroniques, lui permettent de réaliser des « réappropriations par profanation », précisément afin d’installer un dialogue avec le monde concret, même dans la solitude.

Dans une logique de profanation similaire, la performance que Philip Gagnon a offerte lors d’une soirée ouverte aux visiteurs peut se lire comme un moyen de court-circuiter le contexte de présentation. En pénétrant dans l’antre de l’artiste, le public a vu le spectacle du processus créatif, qu’il s’attendait à trouver exposé devant lui, se retourner et le regarder dans les yeux. Musique avec récitation poétique aux allures de bed-in, l’artiste a livré une ballade libertaire racontant ses tentatives de diffusions portatives sans galerie et sans moyen. Par l’humour, la répétition et l’accident, la performance faisait ressentir l’absurdité de ces rituels et procédures dont nous sommes collectivement les disciples. Le geste, cependant, dans sa vulnérabilité douce-amère et son esprit salvateur, est parvenu à transformer le public en complices souriants et à lui faire entrapercevoir, depuis l’intérieur du cadre et au-delà, des horizons ouverts.

Biographie

Philip Gagnon ne « vit et travaille » pas sur l’île de Montréal.

Philip Gagnon est natif de Saint-Félicien, la ville de l’automobile.

Philip Gagnon conduit une Hyundai Accent 2004 nommée la galerie qui tuffera pas 3 ans.

Philip Gagnon passe beaucoup de temps et d’argent au garage.

Philip Gagnon n’a pas présenté son travail en dehors du Canada.

Philip Gagnon a abandonné le cours d’espagnol sur Duolingo après 30 jours consécutifs.

Philip Gagnon a dû booster sa voiture deux fois pour son dernier projet de commissariat.

Philip Gagnon est amateur de la mécanique du champ de l’art et ses institutions.