Disposés dans le studio-atelier de Mathilde Benignus, les livres Faire famille autrement (Gabrielle Richard, 2022) et Abolish the Family : A Manifesto for Care and Liberation (Sophie Lewis, 2022) annoncent les réflexions actuelles de l’artiste. Au fil de ses huit semaines de résidence, elle les empoigne et les déplace, les fait se répondre dans leurs transversalités. Petit à petit, ces ouvrages passent de la table de travail à la table de lecture, une migration témoignant de leur transition dans l’intimité. Ils informent une recherche à la fois artistique, personnelle, sociale et conceptuelle : ces livres, tout comme la démarche de l’artiste, sont éminemment politiques et abordent cette mince frontière entre ce qui est public et ce qui est privé.
Benignus raconte des histoires le plus souvent documentaires, ou fortement inspirées du réel. Récemment, elle collectionne les modèles alternatifs de concevoir la famille, qu’elle considère trop peu visibles dans le paysage social. Pour ce faire, elle se porte à la rencontre de nombreuses personnes qui, comme elle, choisissent de repenser les paramètres normés et traditionnels de la parentalité. Au gré de ses échanges, elle recueille les récits de personnes queers qui réinventent la structure habituelle du couple avec enfant – des parents solos, des personnes transgenres qui font l’expérience de la construction d’une famille, des trouples qui ont des enfants, ou encore des individus dont la progéniture est élevée de façon collaborative avec certain·e·s de leurs ami·e·s – et ceux d’artistes mères qui côtoient au quotidien les défis engendrés par leur posture de femme, avec enfant, œuvrant dans le milieu artistique. Ce processus donne l’occasion à Benignus de s’interroger, avec d’autres, sur les avenues existant dans les marges de nos manières d’imaginer les noyaux filiaux. Ces rencontres, pour la plupart réalisées en amont de la résidence, constituent la base de ses réflexions et lui permettent d’inscrire sa création en résonance avec leurs histoires, pour mieux (se) réfléchir, (se) dire, (s’) aborder. Comment être mère et artiste ? Et comment représenter ces nouveaux modèles?
À Est-Nord-Est, dans son espace de création, des narratifs reformulés s’invitent. Des gravures apparaissent : les modèles discutés se matérialisent enfin. Benignus montre une imagerie à la croisée du rêve et du tarot et arrive à se rencontrer avec tout le bagage de ses interrogations sur le « faire-famille » qui se sont faites de plus en plus prégnantes dernièrement. Ses figurations deviennent autant de tentatives de multiplier et d’actualiser les représentations de constructions filiales. Elles participent à l’élaboration d’un récit ouvert qui connecte Benignus à ses peurs autant qu’à ses ambitions, puis aux angoisses et désirs observés chez ses pair·e·s. Dans ses entailles sur bois, elle exhibe malgré tout son souhait de construire, traduisant l’urgence de son désir et montrant l’avenir qui se trace.
Mathilde Benignus est créatrice d’histoires à formats variables. Ses projets artistiques abordent l’identité, l’héritage et les familles choisies, de même que les territoires mis à l’écart. Sa démarche ressemble à ces rencontres fortuites : elle cherche ce qui ne s’est pas encore dit et qui attend souvent d’être révélé. Pour cela, elle a besoin de se déplacer et son travail a souvent été désigné comme une pratique en relation, inspirée des communautés de personnes qu’elle côtoie hors du monde de l’art. Portant un intérêt particulier au partage de l’intime et de l’expérience vécue, en groupe ou en solitaire, sa question est souvent la même : comment porter à plusieurs ?
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