Les sculptures-installations que Mariane Stratis a réalisées lors de sa résidence, faites de mousse et de tissu imprimé, s’adressent directement aux corps. Les images sont imprimées sur du lin, du coton ou de la soie, et proviennent des fonds d’archives de BAnQ. Pour la plupart, il s’agit de photos d’anciens sites de cimetières abandonnés comme le faubourg Saint-Antoine (1799-1854), enfoui sous le square Dorchester et la place du Canada.
C’est la première fois que Stratis se permet de jouer avec les images d’archives en créant des distorsions. Toujours très sensible à l’intégrité de l’image – l’artiste se spécialise dans la documentation d’œuvres d’art –, elle s’offre la liberté d’effacer les monuments de guerre qu’elle ne souhaite pas intégrer au récit collectif dont elle a espoir. Cet effacement, réalisé par traitement numérique ou directement sur le tissu (avec une gomme à effacer ou des produits décolorants), est à la fois un geste de recomposition d’une histoire coloniale et un geste esthétique d’assemblage formel. Stratis produit des archives molles et des œuvres-coussins qui créent des corps sociaux dans une optique de soin tant personnel que collectif. Si cette jonction se retrouve dans le travail de plusieurs artistes, chez Stratis, c’est la part émotive et haptique du soin, dont l’art est la matrice, qui prend le dessus.
La production de ces œuvres à Est-Nord-Est est l’aboutissement d’une recherche de maîtrise. L’artiste, qui fait aussi partie du collectif doux soft club, fait ici renaître ses intentions de douceur en employant des matières aux fortes qualités sensorielles. Cette fois, un désir s’exprime de créer des objets relatifs à la chute : évoquant les fosses de réception utilisées pour la gymnastique ou le cirque, les mousses mémoires seront activées lors de performances dans lesquelles il y aura le mouvement de tomber. Les fosses de réception, par proximité étymologique, ne sont pas sans rappeler les fosses communes sous les places publiques précédemment mentionnées où 40 000 sépultures sont toujours enfouies. Les deux, remarque Stratis, servent à accueillir des corps ; elles métaphorisent le soin comme respect ultime que l’on peut s’offrir à soi et offrir à l’autre. De ce travail d’exploration, je retiens l’efficacité sensorielle des textures sociales construites autour de la perte, du deuil et de la commémoration.
Mariane Stratis est une artiste interdisciplinaire vivant et travaillant à Rivière-du-Loup. Sa pratique porte sur les différents cultes reliés à l’événement de la mort en s’interrogeant sur l’avenir du corps, sa fragilité et les soins qui y sont apportés ainsi que sur la façon dont les sociétés gèrent ou traitent la perte des vies humaines et s’y adaptent. Mariane crée des installations incluant sculpture, photographie et art textile qui sont parfois activées de manière performative. Candidate à la maîtrise en sculpture et en céramique à l’Université Concordia, elle détient un baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’UQÀM. Elle est membre fondatrice du doux soft club, un collectif d’artistes-commissaires créé en 2017 dont le travail a récemment été exposé à la galerie Axénéo7, avec le soutien du CALQ (bourse de recherche, création et exploration).
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