Vue de l'atelier de Jacqueline van de Geer
Jacqueline van de Geer, Vue de l'atelier, 2020. Crédit photo: ENE / Jean-Sébastien Veilleux photographe.

Jacqueline van de Geer

Artiste / Automne 2020

Corps-atelier, corps-maison

« Vieillir, qu’est-ce que cela signifie ? » demande-t-elle. Pour sonder l’épaisseur de cette question, elle cultive une acuité à l’expérience performative de son corps-atelier, un espace mémoriel et symbolique dans lequel les subjectivités et les temporalités se croisent. Là, il y a celle qu’elle a été, celle qu’elle pourrait être, celle qu’elle est, celle qu’elle ne veut pas être et celle qu’elle ne sera jamais. Mais il n’y a pas qu’elle, car ces enchevêtrements de souvenirs et de spéculations, elle souhaite les partager avec d’autres, comme pour mieux reconnaître la valeur collective de l’investigation. La question se pose donc en dialogue avec des mémoires qui se racontent, celles d’événements qui sont inscrits dans nos expériences, que nous les ayons vécus directement ou non, et celles qui surgissent dans les gestes, les images ou les objets qui fonctionnent comme des embrayeurs de sensibilités et de récits. Quelles histoires peuvent bien convoquer, pour celles et ceux que l’artiste invite à se projeter dans l’espace de l’atelier, une photo de classe en noir et blanc, un tampon hygiénique dans son emballage ou la couverture d’un magazine érotique des années 1950 ? En prise avec la matérialité du monde, son action laisse surgir le passé dans le présent et l’autre en soi, de façon à ce qu’être et être avec fonctionnent ensemble, indistinctement.

« Le corps est une maison », dit-elle, dans laquelle s’inscrit, physiquement et psychiquement, le passage du temps. Est-Nord-Est est aussi, en quelque sorte, une maison, dont les pièces sont métamorphosées par ses actions. Les incarnations multiples et changeantes qu’elle disperse dans l’architecture de la résidence opèrent une sorte de destitution des fonctions du lieu et des comportements qu’il prescrit. Radicalement transformée par une attitude, une tenue, un accessoire placé sous un éclairage particulier, la résidence devient le théâtre de récits excentriques et pluriels. L’atelier, les aires communes, la cour deviennent tour à tour chambre d’hôtel, espace domestique, bâtiment industriel et forêt. Des subjectivités anachroniques y font leur apparition, empruntant leurs gestes aux femmes de l’histoire de l’art et de l’histoire de la vie. Dans son corps-maison, les figures se succèdent : tragiques, délinquantes, solennelles, pudiques, égarées, princières, provocatrices. Elles créent une intimité avec une diversité d’archétypes féminins curieusement revisités, dont le caractère bricolé et la fluidité identitaire sont sciemment révélés. Leurs histoires dérapent, explorent l’incertitude, marquent le retour d’un cycle, révèlent un regret ou réinterprètent un désir. Elle, comme une sorte d’alchimiste de l’existence, explore différents états convoqués par celles qui affleurent dans sa conscience. Sa pratique est une déflagration, une désobéissance, une liberté, une présence au monde qui accueille l’autre en soi pour infléchir la perception de ce qui vit ici, au seuil du temps.

Biographie

Originaire des Pays-Bas, j’ai traversé l’océan Atlantique en 2005 pour vivre et travailler à Montréal. J’ai un baccalauréat en arts visuels et en arts performatifs.

Je tire mon inspiration de thèmes universels tels que le patrimoine, la famille, la démocratie, la guerre et les politiques d’exclusion.

Je travaille avec diverses disciplines : performance, mouvement, monologue, manipulation d’objets, improvisation et art visuel.

Il est important pour moi de me surprendre au cours de mon processus et de partager avec les participants cet excitant sentiment qu’est l’inattendu. Créer une intimité, entretenir une confiance et révéler ce qui dérange sont essentiels à ma pratique.