Annie Charland Thibodeau travaille à l’édification de nouveaux rapports à la monumentalité en abordant dans sa pratique sculpturale l’objet non pas comme élément indépendant, pouvant se suffire à lui-même et être déplacé, mais plutôt en prenant compte de son intégration à un environnement, en cherchant parfois à rendre cet environnement englobant. Forte de sa connaissance approfondie de la matérialité de la pierre de taille, de ses propriétés, ses difficultés et ses limites, l’artiste a profité de l’expérience de résidence pour développer, dans le travail de la matière, une approche plus expérimentale. De la même façon, Charland Thibodeau a combiné dans des moules aux formes polygonales des matériaux locaux, tels que le quartz et le mica, à l’argile crue et à la poudre de marbre et de granit, faisant apparaître de délicates tuiles arborant un éventail de textures et de comportements face à la lumière, avec une translucidité parfois proche de la porcelaine. Dans ces compositions en céramique, ce sont des points de tension imprévisibles qui émergent à partir de cristallisations et de refroidissements.
Ces essais s’appuient sur des savoirs pratiques et scientifiques inspirés du mentorat de la céramiste Marianne Chénard et de l’échange avec des personnes issues de professions où la pierre et ses déclinaisons sont au cœur de l’ouvrage : pétrographes, géologues, architectes. Ces rencontres ont été rendues possibles grâce à la résidence de longue durée réalisée avec le soutien du centre Bang, à Chicoutimi. L’artiste a également pu examiner des lames de pétrographies, des couches de pierre d’environ trente microns collées sur des plaques de verre, révélant au microscope les structures internes des minéraux.
Dans cette approche sensible de la science et de l’art, l’artiste travaille avec des rebuts issus de l’industrie et expérimente des techniques inédites, comme cette gravure au laser effectuée sur des éclats de granit noir réalisée en amont de la résidence, dont l’apparence, après le passage du faisceau de lumière, se rapproche de l’obsidienne. La pierre qu’on imagine pérenne, immuable, est en fait une matière changeante, marquée par le passage du temps, l’érosion, les écarts de chaleur. Son mouvement est lent et progressif, il appartient à des temps géologiques avec lesquels nous n’avons pas de rapport direct. Malgré tout, comme tout matériau, l’utilisation de la pierre engendre un certain impact environnemental, nous amenant à remettre en question ce que l’on génère, ce que l’on gaspille. Sans écarter la récupération et le réemploi inhérents à la pratique artistique, l’artiste parvient à nous mettre en contact avec le poids physique, historique et conceptuel de la pierre et ses déclinaisons.
Annie Charland Thibodeau explore par la sculpture le potentiel performatif de la monumentalité et de la matérialité des objets : ses installations invitent au déplacement en leur sein, font écho à leur environnement d’accueil et se dévoilent au rythme de ceux et celles qui les habitent. Annie détient une formation en sculpture de la Maison des métiers d’art de Québec et une maîtrise de la Iceland University of the Arts. Son travail a été présenté au Québec — CIRCA art actuel, Centre Bang, Musée des beaux-arts de Sherbrooke — comme à l’étranger (Irlande, Italie, Islande, Slovénie). Elle vit et travaille à Québec.
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