Amélie Brindamour, Travail en atelier, 2023. Crédit photo: ENE / Jean-Sébastien Veilleux photographe.

Amélie Brindamour

Artiste / Hiver 2023

Texte-témoin

Dans l’histoire de la sculpture, l’enjeu pour l’artiste a d’abord consisté à donner à des matériaux bruts, le plus souvent d’origine minérale ou végétale, la forme imaginée. Le travail laborieux impliquait différentes étapes allant de l’extraction de la matière à son transport et son conditionnement. Un ensemble de techniques et d’outils permettait le retrait progressif de fragments du matériau utilisé ou son insertion dans des moules aux formes déterminées. On donnait au bois, à la pierre ou au métal des configurations que ces éléments n’auraient pu prendre si ce n’était de l’intervention humaine. Pour Amélie Brindamour, si les caractéristiques individuelles des matériaux ont leur importance, c’est bien dans leurs interactions combinatoires et leur coévolution que naissent les possibilités. À la suite de passages en laboratoires universitaires et lors de sa résidence, Brindamour développe dans sa pratique l’utilisation de deux grandes catégories de biomatériaux : l’algue et le champignon. Dans son atelier, diverses opérations plastiques sont appliquées au reishi, au turkey tail et aux polypores, dont les mycéliums sont imbriqués sur des supports en toile de jute. Presque en symbiose avec sa structure textile associée, le réseau micellaire prend de l’expansion et grandit, prenant au cours de sa croissance la forme qui lui est suggérée. Dans ce processus, la matière organique est en partie à la merci des aléas environnementaux. Celle-ci peut grandir vite, mais de manière précaire si elle a trop chaud, ou peut au contraire ralentir sa croissance si elle est atteinte par le froid ou le manque de nutriments. À proximité dans l’atelier-laboratoire, l’algue est agglomérée en bioplastique, faisant apparaître des fragments translucides de polymères et des membranes diaphanes pouvant inspirer de nouvelles compositions sculpturales. Dans ces expérimentations, la pensée scientifique interdisciplinaire informe les réflexions de l’artiste, mobilisant des savoirs tels que ceux de Robin Wall Kimmerer, autrice et chercheuse membre de la nation Citizen Potawatomi qui souligne depuis une perspective autochtone l’importance des relations interespèces avec l’exemple du lichen, union primordiale du fongus et de l’algue (Braiding Sweetgrass, 2013). L’artiste réfléchit à partir de la vie micellaire et nous invite à en faire autant pour percevoir comment les frontières du soi peuvent progressivement disparaître, comment le brut et l’informe peuvent prendre corps. Par son travail, Brindamour nous montre comment l’imprévisibilité et la complexité de la métamorphose du vivant peuvent être apprivoisées et provoquer l’émerveillement par la rencontre inédite et respectueuse entre les règnes, les espèces, les idées.

Biographie

Amélie Brindamour explore dans sa pratique différents enjeux reliés à l’environnement naturel. Elle fait appel à l’art électronique, aux biomatériaux et à l’installation pour produire des œuvres interactives intégrant des composantes sonores et lumineuses qui révèlent les systèmes intelligents présents dans la nature. Ses projets brouillent les frontières entre l’art et la science, invitent à la collaboration et se développent dans le cadre de diverses résidences, notamment à Eastern Bloc (Montréal), au Speculative Life BioLab de l’Université Concordia (résidence CQAM/Milieux) et au Vermont Studio Center (Johnson, États-Unis). Amélie détient un baccalauréat en arts visuels et une maîtrise en enseignement des arts de l’Université Concordia. Elle vit et travaille au Bas-Saint-Laurent.