Travail en atelier de Alex Yudzon en résidence
Alex Yudzon, Travail en atelier, 2018. Photo: ENE/Jean-Sébastien Veilleux photographe

Alex Yudzon

Artiste / Été 2018

En tant qu’immigrant je suis à la fois observateur et participant

Durant la présentation d’artistes à Est-Nord-Est, chacune des images que présente Alex Yudson est accueillie par des réactions de surprises et d’enchantement. Il présente des photographies prisent durant un voyage en voiture de dix jours au départ d’Est-Nord-Est vers l’est suivant les abords du fleuve St-Laurent, puis la péninsule de Gaspé, pour ensuite atteindre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse avant de retourner à St-Jean-Port-Joli. Pas les clichés de voyages traditionnels : les photographies noir et blanc instantanément captivantes présentent le contenu des chambres d’hôtel – lits, canapés, coussins, bureaux, lampes, mini bars, art, vaisselles, tue-mouches, plantes, et la liste continue. Les objets y sont réarrangés en des relations improbables et précaires les uns avec les autres dans les limites de la chambre.

Parfois, ces objets sont empilés de façon extravagante jusqu’au plafond ou encore ils sortent d’une porte de placard, d’autres fois ils sont respectueusement centrés sur le lit ou enlignés et en attente d’on ne sait quoi; rien d’autre que ce qui se trouvait dans la chambre à l’arrivée de Yudzon n’est utilisé dans ses « sculptures de mobilier ». Une autre contrainte que s’est imposée l’artiste était de n’utiliser que la lumière de la chambre et le flash de sa caméra pour éclairer les scènes. De plus, tout devait être repositionné à son endroit initial avant son départ pour la suite de son périple.

Chacune des photographies est animée d’un grand potentiel, emplie de possibilités et débordante d’indices d’un inimaginable passé, à la fois étrange et merveilleux. Toujours un peu ironiques – et certainement audacieuses – elles sont aussi impassibles, sérieusement engagées et mystiques. Selon Yudzon, ces postures simultanées sont dues à sa qualité d’immigrant, toujours « à la fois participant et observateur. » En tant qu’artiste, il cultive et conserve cet « état d’esprit anthropologique » et sa préoccupation pour la maison et le sens du « chez-soi. »

Yudzon examine comment nous bâtissons une maison, même dans un lieu temporaire comme une chambre d’hôtel, et que nous recréons les mondes passés comme l’idéal du « chez-soi » à travers quatre corpus auxquels il travaille en simultané. Il a débuté une série de dessins – hypothétiquement afin de remplacer l’art générique souvent accroché aux murs des chambres d’hôtel – présentant des petites voitures, des phares et des paysages nocturnes illuminés. Leurs caractéristiques cinématographique et surréaliste pourraient bien accompagner le curieux sentiment de déplacement et de méfiance que l’on ressent toujours en entrant dans une chambre d’hôtel – des routes allant partout et nulle part.

« Même le temporaire devient personnel », souligne Yudzon. « Les gens ont besoin de créer des espaces où ils ont la sécurité, la beauté et un abri. » Le temporaire est certainement devenu personnel dans le vieil édifice d’Est-Nord-Est. Depuis 1992, la succession d’artistes en résidence à Est-Nord-Est a transformé l’espace des studios durant les séjours, les ramenant à des tableaux vierges aux murs blancs pour les résidents à venir, laissant ainsi derrière eux encore plus de choses dans les couloirs et les espaces partagés. Yudzon a exploré le site à la recherche d’idées et de matériaux avant que les espaces ne soient vidés et que l’édifice ne soit démoli pour laisser la place au nouvel Est-Nord-Est. Il a présenté les résultats de cette fouille – en projetant de luxuriantes photographies de certains items qu’il a amassés et placés dans des endroits à proximité, détournant les contextes attendus afin de laisser émerger les narrations suspendues et les étranges circonstances. Un jeu de cartes de la Voie lactée abandonné à l’écume du St-Laurent, le joker au centre; une sculpture de plâtre brisée de laquelle il ne reste que le doigt du milieu, en équilibre sur une pile de biscuits doigt de dames rappelant une tour de Jenga. Toutes si curieusement séduisantes. Nous ne pouvons nous empêcher de partager son état d’esprit anthropologique – en s’émerveillant de l’étrangeté du presque familier.

Biographie

Artiste visuel né en 1977 à Moscou. J’ai émigré de la Russie vers les États-Unis à l’âge de 8 ans. Arriver en Amérique durant les années du déclin de la guerre froide s’est avéré complexe. D’un côté, les États-Unis possédaient une abondance exaltante qui manquait à la Russie. De l’autre, je me sentais socialement isolé dans une culture que je ne comprenais pas. Ces contradictions m’ont fait ressentir l’imprévisibilité intrinsèque du monde. Venant d’un pays qui possède un riche héritage iconophile, la peinture est rapidement devenue un précieux exutoire. Le langage visuel de la peinture et mon expérience d’immigrant, le sentiment inéluctable que notre monde de plénitude cache une profonde incertitude existentielle, sont les plus grandes influences dans mon travail. Ainsi, j’ai développé une approche photographique interdisciplinaire qui réunit la sculpture, la peinture, les installations in situ et l’éphémère. Que je travaille intensivement en studio à la création méticuleuse d’un tableau qui estompe la ligne entre peinture et photographie, que je construise une installation in situ dans des chambres d’hôtel ou des environnements éloignés, mon travail interroge le rôle que la mémoire, le lieu et l’histoire jouent dans la construction de notre identité.